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Les écrits de Juliette

Octobre 2019-Juillet 2020 :
8 mois aux côtés de l'Université du nous, 8 mois de rencontres, 8 mois de questionnements, 
partagés ici avec vous.

Article#1 

L’émergence et les débuts, des histoires d’accueil

Dans ce premier article de la série Juliette (en)quête, Marion et François nous livrent leurs regards croisés sur l'arrivée d'un "je" à l'Université du Nous, qui résonnent avec ma propre arrivée au sein de l'association en novembre 2019 pour ce projet de capitalisation des 10 ans.

Novembre 2019, Chambéry. Je débarque à l’Université du nous pour contribuer à la préparation d’un anniversaire. D’une certaine manière, je fais un peu office de petite-nièce qui aide au placement des invités. Ce qui est curieux, c’est qu’en 2010, au moment des balbutiements de cette organisation, que l’on s’apprête à célébrer, j’avais 15 ans, l’Université je n’y étais pas encore et le nous n’était pas encore érigé au rang de concept mais s’incarnait dans une pratique quotidienne, qui se lie, explose, et titube dans les méandres du lycée. 

 

Un service civique ? Mais pour quoi faire ? « Capitaliser des expériences concrètes, mises en œuvre autour de la gouvernance partagée, pour les partager à tous·tes. » Concrètement, je rencontre des organisations accompagnées dans les dix dernières années par l’Université du nous pour avoir des retours sur l’évolution des postures, des outils, du faire-ensemble en leur sein et contribuer ainsi à la mesure de l’impact social de l’Université du nous.

Cette idée de service civique germe au printemps dernier, avec l’envie de cheminer, de vadrouiller, d’aller rencontrer des organisations diverses. L’envie a été nourrie par un livre, Les sentiers de l’utopie, écrit par Isabelle Frémeaux et John Jordan, qui ont parcouru l’Europe pendant sept mois, à la découverte de onze projets collectifs. Chaque chapitre relate une tranche de vie partagée pour quelques semaines au sein d’un collectif, les questionnements en cours, les ambitions lourdes à porter, mais aussi les réparations de vélos, les tours de vaisselle, les potagers, les cercles de parole, et les réalisations farfelues. Depuis, je me disais qu’un jour moi aussi, je partirais à la rencontre d’organisations qui tentent et en bavent, d’individus qui se questionnent, de lieux qui construisent un ailleurs.

 

Au début de cette histoire avec l’Université du nous, se cache aussi une grande curiosité pour les dynamiques de groupe, le faire ensemble, la déconstruction des dominations, la relation au pouvoir. En novembre, c’est avec joie et curiosité que je débute ces huit mois, qui je l’espère nourriront parallèlement mes questionnements personnels, et le bilan de ces 10 années d’existence et d’expériences.

« La grande qualité d’un nous, c’est de savoir accueillir ses je… »

Accueil des nouveaux·elles arrivant·es autour d'un repas lors de l'Université d'été du Nous, vacances conscientes à Caussade, en juillet 2010 .

Il est un soir de novembre où mon arrivée dans cette association rime avec accueil. Le cadre dans lequel je m’inscris est explicité à tou·tes et les langues se délient pour conter l’accueil. Chez François, ce soir particulièrement, une phrase résonne, qui fait naître un sourire. Lydia rit et François s’élance dans le récit. Caussade, juillet 2010, Olivier et François sont en route pour participer à des vacances collectives et conscientes,  « L’Université d’été du nous ». Nuit sur le bord de la route, arrivée en cours de route, et déroute face à l’atmosphère tendue après une altercation physique. C’est une drôle d’arrivée ce matin là, avec une incertitude : ces vacances sous le signe de l’expérience vont-elles s’arrêter à peine commencées ? 
 
La journée se poursuit, guidée par les rencontres, la découverte d’outils d’autogestion, la foisonnance d’ateliers. Et vient le midi, le repas collectif, une grande tablée et Laurent, qui se lève, fait tinter son verre, créée le silence et prononce cette fameuse phrase : « La grande qualité d’un nous c’est de savoir accueillir ses je. Je nous présente Olivier. [Applaudissements] Je nous présente François. [Applaudissements] » Vague d’applaudissements, de sourires et de célébration. Joie, sentiment d’appartenance, et de considération. Force du groupe et de la capacité de valorisation des individus. 

« Je suis arrivée dans une phase de vide »

2015 , année de l'arrivée de Marion (en bas à droite) à l'Université du Nous.

Marion, elle, raconte une autre arrivée à l’Université du nous, la sienne, à l’été 2015, dans ce qu’elle décrit comme un « vide de l’accueil », une période où le départ de certains peinait à être accepté et l’arrivée des nouveaux était peu célébrée. Vide de célébration, vide d’accueil, vide de rituel.
 
Comme elle l’écrira plus tard : «  En bonne "nouvelle", j'ai préféré me taire et faire avec... ou sans plutôt. Comme c'est difficile de se dire dans ses doutes, ses failles, sa vulnérabilité quand on arrive dans un nouveau groupe ! J'avais peur d'être insatisfaisante, pas à la hauteur et surtout je ne voulais pas "déranger"... J'étais aspirée dans ce nous équipe dont je ne connaissais ni les "je", ni les règles du "jeu". Ça tanguait fort en moi et je n'étais pas sûre d'avoir un gilet de sauvetage, mais j'ai choisi de continuer à voguer à leurs côtés et à ne pas lâcher. »

Difficile de faire émerger la nouvelle communication de deux structures — l’Université du nous et la coopérative accompagnante qui prend son envol à ce moment-là — sans se sentir accueillie dans ce collectif en mouvement. Après une année de travail à distance depuis Nancy, elle participera enfin à un temps d’accueil collectif en bonne et due forme, et se verra attribuer un « grandes zoreilles », cet écoutant au service des membres et de leur intégration dans l’organisation. Rétrospectivement : « Au bout d'un an et demi, à l'arrivée de nouvelles recrues, l'organisation s'est rendue compte qu'elle était "passée à côté" de mon intégration. Sans reprendre toutes les étapes, certaines n'étant plus nécessaires avec le temps, j'ai pu enfin être accompagnée. Ça ne pouvait pas revenir sur les difficultés que j'ai rencontrées, mais cela m'a fait du bien. Enfin, l'organisation me reconnaissait et prenait soin de moi. »

Un collectif, un processus d’intégration, des processus d’intégration

 
«  Comment accueillons-nous des nouveaux membres, quelles sont les conditions contractuelles nécessaires à l’intégration des nouveaux ? Quels sont les prérequis, les étapes nécessaires pour intégrer l’organisation ? » Ces dernières questions sont issues d’une fiche pédagogique du MOOC Gouvernance Partagée, qui présente les éléments constitutifs d’un cadre de sécurité. Comme l’explique Lydia dans cette vidéo, c’est « un cadre constitué de règles minimales communes, auxquelles chacun·e sera engagé·e, afin de satisfaire notre besoin de limites claires dans lesquelles nous pouvons vivre en pleine liberté de croissance individuelle et collective ». Et le processus d’intégration est l’un des éléments à clarifier.

En arrivant à l’Université du nous cet automne, j’ai vécu un processus d’accueil en plusieurs temps : celui des formalités légales avec la signature du contrat d’engagement, celui de la clarification du cadre et de mes missions – quelles horaires, quels outils, quel cadre relationnel ? — et enfin un temps plus festif en soirée, qui a été l’occasion de récolter ces témoignages d’accueil. Récolter des témoignages, plonger dans le passé, marquer le début et célébrer ce passage en service civique au sein de l’Université du nous. Une belle entrée en matière avant de plonger plus loin dans les souvenirs des dix premières années de cette association !

Et oui, ces huit mois sont l’occasion de rencontrer des individus dans des organisations de tailles différentes, qui évoluent dans des contextes variés, de l’habitat groupé à l’entreprise aux 200 salariés, et peut-être de les entendre sur ce que cela implique d’accueillir de nouvelles personnes dans une structure qui fonctionne en gouvernance partagée. Comment faire part de ces règles « formelles »  qui régissent la structure, et comment partager également tout ce qui fait la culture, plus subtile, d’une organisation ? Comment célébrons-nous une arrivée ? Comment prenons-nous soin d’accueillir ce nouveau « je » dans le « nous » ? Et que dit de nous notre capacité collective d’accueil ? Les parcours d’entrée sont-ils aussi nombreux que les individus qui composent le groupe ?

Et dans vos collectifs ? À vous lire !
 
* François, Lydia, Laurent, Marion et Olivier sont des membres présents ou passés de l’Université du Nous.